33
L’enfer

 

J’ouvris les yeux dès l’aube et je bondis sur mes pieds. La chaleur créée par mes Ames régénératrices pendant la nuit se dissipa dès que je laissai mes couvertures pour fouiller les environs. La journée s’annonçait splendide, mais j’étais anxieuse. Pendant deux jours, j’avais eu hâte de partir, l’espoir de quitter ce monde et de revoir Alix m’habitant. Heureusement, je savais que je pouvais revenir magiquement en arrière parce qu’en ce moment, je n’étais plus sûre de rien.

Partout autour de moi, il y avait encore de la neige, une immensité blanche à perte de vue, des glaces et des flancs de montagne. Spectacle d’une inhospitalité à faire frémir.

« Lange vin, ma fille, me dis-je dans un soupir, secoue-toi parce que si Alix est ici sans magie, il risque de mourir avant que tu ne lui sois d’un quelconque secours. »

Je me souvins soudain que la pierre de voyage était plus à l’ouest par rapport à l’endroit où je me trouvais. Je suivis donc les berges tant bien que mal, dans la neige jusqu’aux genoux, me maudissant de ne pas avoir pensé à me munir de raquettes. Mes chaussons de peaux, doublés de laine épaisse, ne feraient pas le poids bien longtemps en cette période de dégel. Heureusement, j’avais troqué la jupe obligatoire pour un pantalon, trafiqué pour s’ajuster à ma grossesse.

Tout en marchant, je cherchais des traces de pas. Pourquoi n’étais-je pas capable de repérer magiquement mon Cyldias, comme lui pouvait le faire pour moi ? Il devait bien y avoir une façon !

Je sentais le désespoir monter lentement en moi et j’ignorais comment y remédier. J’étais autant sinon plus démunie que lorsque j’étais sur la Terre des Anciens. Au moins, là-bas, je pouvais demander à quelqu’un de m’enseigner les bases de mon savoir. Ici, je n’avais personne vers qui me tourner.

 

* *

*

 

Dans sa caverne, Solianne venait tout juste de se pencher au-dessus de son chaudron. Elle se faisait un point d’honneur de repérer Naïla et Alix au moins deux fois par semaine, et ce, depuis leur naissance. Longtemps, pour Naïla, elle avait compris peu de choses par rapport à ce qu’elle voyait, mais elle savait la Fille de Lune maudite en sécurité et c’était l’essentiel. À partir du moment où son retour sur la Terre des Anciens était devenu une certitude, Solianne avait été plus attentive. Elle lui avait même quelquefois donné un coup de main en lui parlant par télépathie. Elle n’avait pas voulu faire davantage parce qu’elle souhaitait que la jeune femme apprenne à se débrouiller seule. Dans ce monde, il fallait souvent ne compter que sur soi-même… Jamais elle n’avait dévoilé son identité, pas plus qu’à Alix, à qui elle apparaissait en songes. Rares étaient ceux qui savaient qu’elle était la mère de l’enfant mystique attendu par son peuple. Tous pensaient qu’elle n’avait jamais enfanté et que c’était pour cette raison qu’elle avait renoncé à son droit de régner sur les Édnés. Solianne n’avait aucune envie d’expliquer ce qui s’était réellement passé ni pourquoi elle s’était retirée. Un jour, peut-être, quand elle n’aurait plus le choix. Mais il fallait d’abord que son fils revienne sur sa terre d’origine…

En soupirant, elle regarda les images se former lentement à la surface du sang de dragon et ses sourcils se froncèrent à s’en toucher. Chaque nouveau détail ajoutait à l’inquiétude qui sourdait en elle. D’un geste de la main, elle fit disparaître le film qui se déroulait sous ses yeux. Puis elle reprit les incantations depuis le début, avec encore plus de soin. Peut-être s’était-elle trompée…

Elle attendit ensuite patiemment que les images se forment à nouveau, se reprochant de s’être absentée de sa grotte pendant une période aussi cruciale. Elle n’avait pourtant pas eu le choix. Près d’une semaine s’était écoulée depuis sa dernière vision et elle craignait d’avoir manqué des événements essentiels à la compréhension de ce qui se passait aujourd’hui. Ses yeux s’agrandirent de surprise en constatant que le paysage et la personne qu’elle voyait n’avaient pas changé. Elle avait bien demandé à voir Alix en premier et c’est Naïla qui se tenait là, dans les légers remous du liquide pourpre. Ça n’avait pas de sens ! Les auras d’Alix et de Naïla ne pouvaient pas répondre au même appel ; c’était deux êtres complètement différents de par leurs origines et leurs pouvoirs. Bien qu’ils soient liés de façon beaucoup plus importante qu’ils ne le croyaient, il n’y avait pas de raison pour que ce phénomène se produise.

Elle remarqua alors que Naïla semblait de plus en plus désemparée. La Fille de Lune marchait de long en large, serrant les poings et marmonnant. Solianne la vit bientôt essuyer une larme et elle comprit que c’en était une de rage et de désespoir, non pas de tristesse. Mais que se passait-il donc ? Solianne avait souvent vu la jeune femme au bord de la crise de nerfs depuis son arrivée sur la Terre des Anciens, mais elle savait chaque fois que quelqu’un était sur le point de l’aider ou veillait sur elle. Il y avait aussi eu des épreuves nécessaires pour lesquelles il n’aurait pas été sain d’intervenir. Mais aujourd’hui, quelque chose clochait. En ce moment, Alix aurait dû être entré en contact télépathique avec Naïla pour lui dire qu’il venait la chercher et cette réaction ne concordait pas. Se pouvait-il que la jeune femme ne veuille pas rentrer de Brume ? Ce serait surprenant, étant donné qu’elle se savait enceinte d’enfants qu’elle ne pouvait confier à n’importe qui…

Soudain, sous les yeux ébahis de Solianne, Naïla disparut de l’endroit où elle se trouvait pour reparaître quelques kilomètres plus loin, dans une baie. Comment avait-elle pu réussir pareil exploit ? Sur Brume, les Filles de Lune ne pouvaient avoir le plein usage de leur magie qu’après avoir mis au monde une fille pour assurer la relève de leur lignée. Il en avait toujours été ainsi. D’ailleurs, Naïla n’avait jamais usé de magie depuis son arrivée et la magicienne savait que ce n’était pas par crainte de représailles de la part des humains ni par choix, mais bien parce qu’elle en était incapable.

— Pourquoi peut-elle tout d’un coup se servir de sa magie ? se demanda Solianne à voix haute. Elle ne connaît même pas ses capacités, ni la portée de ses pouvoirs… Elle risque de ne faire que des bêtises dans un monde comme Brume !

Gontran, son dragon, grogna alors pour attirer son attention. Surprise de cette interruption, Solianne se tourna vers lui. L’animal mystique désigna simplement le gros grimoire aux pages jaunies qui trônait encore sur la table de travail de la magicienne. Solianne considéra d’abord son compagnon d’un air perplexe. Puis son regard s’éclaira brusquement avant de s’assombrir dangereusement. Pour une rare fois dans sa vie, elle craignit que ses actions n’aient causé un tort irréparable. Elle allait devoir trouver une solution au plus vite…

* *

*

Seule dans la baie de Saint-Paul, je regardais autour de moi, animée d’un désespoir qui frisait l’hystérie. Partout ailleurs, il n’y avait que neige et glace. Nulle trace d’une quelconque activité humaine ou magique. Je me sentais bête et idiote, de plus en plus convaincue que je n’avais pas su interpréter correctement mes rêves et mon délire. Parce que je pouvais soudainement me servir de ma magie et qu’Alana m’avait parlé en songe, j’en avais déduit que c’était le signal de l’arrivée d’Alix, le moment où je devais retourner sur la Terre des Anciens. Pauvre gourde ! À ce moment précis, je me sentais exactement comme mon Cyldias me percevait depuis notre première rencontre : ignorante, incompétente et sans avenir. Qu’allais-je faire maintenant que j’avais quitté ceux qui m’avaient si bien accueillie avant l’hiver ?

Sous le timide soleil printanier, je m’appuyai au tronc d’un arbre dénudé pour réfléchir. Il me fallait absolument établir un contact avec quelqu’un dans l’autre monde. J’avais besoin d’aide et tout de suite. Une idée me vint finalement. Je détachai mon pendentif et le gardai dans ma main que je refermai. S’il me reliait à la Terre des Anciens par mes cauchemars, peut-être m’y reliait-il pour d’autres choses. Pendant de très longues minutes, je serrai de toutes mes forces le bijou, espérant pouvoir faire passer, dans ce contact prolongé, tout mon désespoir, toute ma solitude et mon incompréhension. J’étais démunie et désemparée. Personne ne viendrait donc à mon secours ?

* *

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Comme Kaïn se préparait à rejoindre la cité de Ramchad, une douleur fulgurante le cloua sur place. Les minutes s’écoulèrent ensuite en silence, sans que le Sage ose bouger. Non pas parce qu’il croyait qu’un danger le menaçait, mais plutôt parce qu’il ne savait pas comment réagir. Il n’y avait que trois personnes dans cet univers qui pouvaient agir de manière à provoquer cette sensation chez lui : l’une était morte depuis des siècles, une autre n’aurait jamais osé lui faire connaître sa souffrance – elle était beaucoup trop orgueilleuse pour ça –, il ne restait donc que sa fille. Mais Naïla n’aurait pas dû être en mesure de lui transmettre ses sentiments pour une raison extrêmement simple : sur Brume, elle n’avait aucun pouvoir. Que se passait-il donc ?

Incapable d’abandonner sa fille à son sort, Kaïn changea ses plans. En prenant cette décision, il retardait le moment où il viendrait en aide à Andréa. Même si cette dernière ignorait qu’il s’ingéniait à lever le sortilège qui pesait sur elle, il était conscient que chaque jour qui s’écoulait sans lui donner signe de vie ni s’expliquer risquait de lui causer passablement de problèmes le jour où il allait devoir l’affronter…

* *

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Myrkie tentait d’entrer en contact avec Naïla depuis plusieurs jours déjà, mais elle échouait sans cesse. Elle n’y comprenait rien ! Elle avait pourtant suivi les instructions d’Andréa à la lettre. Elle avait même recommencé plusieurs fois, croyant s’être d’abord trompée, mais les résultats demeuraient inchangés. Il fallait qu’elle parle à la jeune femme très rapidement. L’état d’Andréa s’était subitement détérioré au cours des derniers jours. Elle délirait dans son sommeil et ses Ames régénératrices ne parvenaient plus à lui assurer un repos de qualité. L’Insoumise Lunaire prononçait à répétition le nom de sa fille et disait qu’il ne fallait surtout pas qu’elle meure, qu’elle devait absolument revenir sur la Terre des Anciens. Le prénom « Kaïn » était souvent revenu dans ses délires, à la grande surprise de Bredjna. Andréa semblait tenir cet homme responsable des déboires de sa fille, mais personne n’aurait su dire comment ni pourquoi. Il fallait donc que Myrkie réussisse à transmettre le message qu’Andréa lui avait dicté dans un rare éclair de lucidité.

Une fois de plus, la gamine reprit ses incantations et observa avec attention la potion qui bouillait doucement dans la cavité rocheuse. Autour d’elle, quelques-uns de ses étranges amis la regardaient travailler avec une certaine fascination. Soudain, alors qu’elle croyait avoir échoué à nouveau, le contact se fit et l’image de Naïla apparut non pas à la surface de la potion, mais sur les eaux paisibles des sources thermales. Myrkie fronça les sourcils. Elle ne voyait pas pourquoi elle ne recevait pas l’image de la même façon que d’habitude, mais elle n’avait guère le temps de s’attarder à cet aspect du problème. Sans attendre, elle tenta de se faire entendre de la Fille de Brume.

* *

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Les dents aussi serrées que les doigts autour de mon pendentif, je ne pus retenir mes larmes, qui glissèrent sur mes joues, laissant un désagréable goût de sel sur mes lèvres. J’ignorais depuis combien de temps je me tenais ainsi, mais je savais par contre que ça ne semblait pas faire la moindre différence dans ma vie. Dans un geste rageur, je m’apprêtais à lancer mon collier, quand trois voix se manifestèrent en même temps dans ma tête. Surprise, je fermai instinctivement les yeux et des images s’imposèrent aussitôt à mon esprit. Je vis trois personnes différentes qui remuaient les lèvres : l’homme qu’Alix croyait être Kaïn, la femme-dragon et la gamine qui m’avait transmis un message de ma mère. Avant que je ne puisse prendre une décision, les deux adultes disparurent, laissant la gamine seule. Instantanément, sa voix se fit claire et précise.

— Comme la dernière fois, je suis venue vous transmettre un message de votre mère. Elle vous conjure de traverser immédiatement vers la Terre des Anciens. Si vous attendez davantage, vous risquez de ne pas survivre à votre accouchement. Vous ne pouvez pas vous débrouiller seule. Vos enfants seront bientôt à terme à cause de la magie dont vous êtes nouvellement porteuse.

La voix de la jeune Myrkie se fit pressante.

— Rejoignez votre Cyldias et traversez au plus vite… Il vous faut…

Je me préparais à lui dire que c’était justement ce fichu Cyldias que je ne trouvais nulle part quand le lien fut rompu. Je trépignais littéralement de rage. Je poussai un long hurlement, qui me laissa pantelante. Dieu que j’en avais assez de toute cette histoire !

Je fermai les yeux de lassitude et de frustration. Puis je les rouvris, me demandant si les deux autres essaieraient de communiquer avec moi à nouveau. Tout n’était peut-être pas perdu…

* *

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La surprise de Solianne, quand elle avait constaté qu’un Sage essayait d’entrer en communication avec Naïla, lui avait fait perdre le contact. Réaction primitive et stupide, mais elle n’y pouvait plus rien. « Au moins, elle est entre bonnes mains », se dit-elle. Avant de faire une nouvelle tentative, elle avait décidé de chercher l’empreinte de l’aura d’Alix. Elle ne pouvait peut-être pas le voir par le truchement du sang de Gontran, mais il vivait encore, elle en était certaine. Un être comme lui ne pouvait pas tout bonnement disparaître, même dans un autre monde. Le décès d’un enfant mystique s’inscrit automatiquement sur les tables de granité du temple sacré. Or, il n’y avait aucune nouvelle inscription depuis plusieurs mois. « Tant mieux », se réjouit Solianne, qui détestait voir mis à mort des nouveau-nés sans défense simplement parce qu’ils naissaient la nuit. Surtout que chaque nouvelle condamnation rappelait de terribles souvenirs à l’ancienne prétendante au trône des Édnés.

Dans un soupir, elle reprit donc son précieux grimoire et y chercha la formule dont elle avait besoin. De longues minutes plus tard, elle prononça l’incantation avec espoir. La réponse arriva rapidement, lui causant un choc considérable. Alix vivait toujours, mais dans un état cataleptique inquiétant. Il ne pouvait ni bouger, ni parler et son environnement semblait s’être solidifié autour de lui.

Solianne ne connaissait que deux causes à une telle entrave. La première était le sortilège qu’Ulphydius avait utilisé sur les Sages qui accompagnaient Darius au Sommet des Mondes. La seconde, elle la connaissait parce qu’elle en avait été témoin une fois. Cela se produisait quand un être recevait un apport magique excessivement puissant et qu’il n’y était pas préparé ou que son corps n’avait pas la capacité de l’assimiler en une seule fois. Comme ce pouvait difficilement être la première option, il fallait que ce soit la deuxième. Cela voulait donc dire qu’Alix s’était cristallisé à la suite du premier envoi magique et que Naïla avait absorbé le second. Ce qui expliquait que la jeune femme avait pu avoir accès à ses pouvoirs avant d’avoir rempli les critères des dirigeants ancestraux de la Terre des Anciens.

Mais tout ça n’avait guère de sens. Il était tout simplement improbable que la jeune femme ait pu recevoir un apport identique à celui qui avait pétrifié Alix. Même si plusieurs auraient dit que c’était normal puisque la Fille de Lune avait beaucoup plus de potentiel que son Cyldias, Solianne savait que c’était impossible en raison de la transformation que subissait en ce moment le corps de son fils. Son potentiel magique équivalait ainsi pratiquement à celui de Naïla. Il devait y avoir une autre explication. Malheureusement, l’Édnée n’avait pas le temps de la chercher. Elle devait guider la jeune femme pour qu’elle libère son Cyldias rapidement car Solianne ne pouvait le faire à partir de Bronan. La magicienne savait que la Fille de Lune n’avait plus beaucoup de temps devant elle avant son accouchement et il ne fallait surtout pas qu’il se produise sur Brume.

* *

*

Tout comme Solianne, Kaïn avait sursauté en constatant que la détresse de la jeune femme avait attiré une autre présence que la sienne. Il avait tout de suite reconnu l’énergie mythique des Édnés et n’avait eu aucune difficulté à faire le lien avec le peuple d’origine du Cyldias. Il décida donc de commencer par repérer Alix qui aurait normalement dû se trouver dans les environs immédiats de sa fille, surtout qu’il était parti depuis quelques jours déjà. Quand sa puissante magie atteignit enfin l’Être d’Exception, il resta saisi et comprit, tout comme Solianne avant lui, ce qui s’était passé. Maintenant, que faire ?

Contre toute attente, Kaïn choisit de ne pas intervenir. Il voulait que sa fille se tire de cette situation par elle-même – il l’en savait parfaitement capable – pour deux raisons. La première étant qu’il fallait bien qu’elle apprenne à se débrouiller un jour ou l’autre. La deuxième, beaucoup moins justifiable, étant qu’il voulait voir si Naïla tenait au jeune homme autant qu’il le craignait. Au pire, se dit-il pour se déculpabiliser, l’Edné de sa vision lui viendrait certainement en aide…

* *

*

De nouveau en proie à la colère, j’étais retournée sur les berges de ce qui allait devenir Saint-Joseph-de-la-Rive. Déterminée à montrer à tous les êtres de cet univers dément que je n’avais pas perpétuellement besoin d’eux pour réussir quelque chose, j’avais la ferme intention de retrouver mon Cyldias. Je fis donc le vide dans mon esprit et tentai de repérer une présence dans mon environnement, comme Alix me l’avait enseigné lorsque nous étions en route pour la demeure de Morgana. Je me trouvais bien bête de ne pas y avoir pensé plus tôt. Les yeux fermés, il ne fallut que quelques secondes pour que mon corps astral quitte son enveloppe charnelle et survole les environs. À mon grand désarroi, je ne vis rien, mais je perçus tout de même une présence. Je ne savais trop comment interpréter cette information. Selon ma perception, juste sous moi, il aurait dû y avoir un être doté de la faculté de réfléchir et de raisonner. Or, je ne voyais strictement rien.

Je regagnai mon corps et marchai ensuite jusqu’à l’endroit localisé quelques minutes plus tôt. Je ne voyais rien qui différait de tout le reste. Pas de traces dans la neige, pas d’amoncellements étranges, rien. Je ne pouvais quand même pas me mettre à creuser partout avec mes mains pour seul outil. L’étrange impression que j’avais ressentie couvrait un rayon de quelque dix mètres carrés. Il devait certainement y avoir une autre façon de faire.

« Réfléchis, Naïla, réfléchis. »

Mes yeux ne cessaient de fouiller l’espace, tandis que je cherchais désespérément la meilleure façon de parvenir à mes fins. Dans un monde logique, il n’y aurait pas de presse puisque je rechercherais très certainement un cadavre. Aucun être humain normal ne pouvait vivre enseveli sous la neige bien longtemps. Mais voilà, la logique et tout ce que je connaissais avaient rarement leur raison d’être depuis que j’avais découvert un autre univers.

— Fais fondre toute cette neige, tu y verras beaucoup mieux.

Je reconnus la voix de femme qui m’avait guidée vers la Montagne aux Sacrifices – et que j’avais à ce moment prise pour celle de ma mère – alors que je fuyais Alix et les hommes de Simon.

— Je veux bien, criai-je, exaspérée, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Ces foutus pouvoirs viennent sans mode d’emploi.

— Concentre-toi sur ton désir. Visualise-le…

J’expirai bruyamment, avant de fermer les yeux et de me concentrer. Je n’eus aucune peine à imaginer qu’il n’y avait plus la moindre trace de neige à des kilomètres à la ronde puisque c’était mon souhait le plus cher. Une douce chaleur se propagea alors le long de mes bras, descendant jusqu’à l’extrémité de mes doigts, s’évaporant ensuite. Quelques secondes plus tard, je pouvais presque sentir l’odeur du printemps et le bruit caractéristique des ruisseaux qui coulent… J’eus la nette impression d’être passée d’une saison à une autre en quelques instants et je me demandai si je ne rêvais pas.

— Ça suffit maintenant.

La voix féminine interrompit soudainement mes réflexions. J’aurais juré qu’elle souriait alors qu’elle me parlait. Je soulevai timidement les paupières, craignant de ne voir encore et toujours qu’une immensité blanche et de devoir une fois de plus faire face à mon incompétence, mais j’avais tort. Dans un rayon d’une vingtaine de mètres, il ne restait plus la moindre trace de neige. Le sol avait même commencé à reverdir. Je clignai des yeux plusieurs fois d’affilée pour m’assurer que je n’hallucinais pas. La déception suivit toutefois ma joie d’avoir réussi puisque je ne voyais toujours pas la moindre trace de mon Cyldias. Je ne pouvais pas me tromper alors que nous étions sur les berges et que le foin salé, sous l’effet de ma magie, n’avait poussé que de quelques centimètres à peine. Pas de quoi cacher un corps.

En marmonnant, je refis une recherche de présence physique, mais je ne vis rien de plus que la fois précédente. Pourtant, je percevais clairement une présence, une présence vivante, je n’avais pas le plus petit doute là-dessus. Tout comme j’étais intimement convaincue que c’était mon Cyldias. Je fermai les yeux à nouveau et fit le vide dans mon esprit. Puis je tentai de communiquer par télépathie avec Alix. Pendant de très longues minutes, je répétai inlassablement l’appel à mon Cyldias.

* *

*

S’il n’avait pas été dans l’impossibilité de bouger, Alix aurait sursauté. Dans sa tête résonnait la voix de Naïla, l’obligeant à reprendre contact avec la réalité. Son état d’inconscience du début avait graduellement cédé la place à un détachement volontaire de sa part l’empêchant de subir la torture perpétuelle d’être enfermé vivant. Il avait d’abord cru que c’était son imagination qui lui jouait de bien vilains tours, puisque la voix se faisait entendre en rêve, mais il dut bientôt se rendre à l’évidence : la jeune femme était réellement dans les parages. Il ne se faisait toutefois pas d’illusions. Une Fille de Lune ne pouvait utiliser ses pouvoirs dans le monde de Brume tant qu’elle n’avait pas enfanté une descendante lunaire. S’il avait trouvé cette règle parfaitement justifiable dans le passé, il n’y voyait aujourd’hui que des inconvénients…

* *

*

Dans son délire, Andréa rêva une nouvelle fois. Alix s’imposa à son esprit. Le jeune homme était enfermé dans une chrysalide de verre en tous points semblable à celle de Kaïn autrefois. Puis elle vit sa fille qui se tenait non loin de lui, mais qui ne le voyait pas. Elle comprit alors pourquoi Naïla avait la pleine possession de ses pouvoirs. Dans son sommeil, l’Insoumise Lunaire cria comme un animal blessé. Elle craignait maintenant pour Naïla, sachant ce qui l’attendait et l’impossibilité de faire autrement. Elle aurait tellement voulu lui éviter la souffrance à venir, la désillusion possible, la rage de l’abandon. Elle avait l’impression de revivre une partie de sa propre vie et son âme se rebellait. Si elle n’avait pas été sous l’emprise de ce maudit-sortilège, elle aurait elle-même tenté de délivrer le jeune homme, préservant ainsi Naïla. Mais elle n’ignorait pas que ce scénario n’avait de sens que dans son esprit. Dans la réalité, elle devait accepter le destin de sa fille. Le cœur de Naïla battait pour Alix pratiquement depuis le premier jour, et l’épreuve à venir n’allait rien y changer. Sinon le confirmer…

* *

*

— Concentre-toi sur ton environnement et tu me trouveras…

J’avais reconnu la voix d’Alix, mais je ne le voyais toujours pas. J’avais beau regarder autour de moi, il n’y avait pas la moindre trace de mon Cyldias. N’en pouvant plus, je criai mon désespoir, sachant que personne ne risquait de m’entendre. Je hurlai ma colère envers l’univers de Darius, maudissant tous les dieux possibles et imaginables pour le calvaire qu’était ma vie. Je me laissai choir à genoux, frappant le sol humide de mes poings, mes joues inondées. C’est alors qu’une vibration se fit sentir dans tout mon corps, comme si la terre se préparait à une violente secousse. Le phénomène alla en s’amplifiant. Tout mon environnement semblait bouger. Tout, sauf une parcelle bien précise, juste en face de moi. Une masse informe restait immobile malgré la secousse toujours plus importante. En tremblant, je me levai et m’approchai, comme si j’étais sous hypnose. Je tendis lentement le bras pour toucher. Tout s’arrêta instantanément. Plus rien ne bougeait. Ce que j’avais effleuré des doigts apparut alors dans toute son horreur, m’arrachant un cri à glacer le sang. Dans une espèce de cocon translucide, le corps d’Alix était immobilisé en position fœtale et de multiples blessures étaient visibles.

Il est vivant. Il t’a répondu quand tu l’as appelé, il ne peut donc qu’être vivant. Il faut simplement que tu trouves le moyen de le sortir de là, mais il est vivant…

Comme une litanie, ces phrases résonnaient sans arrêt dans ma tête, m’évitant la crise de nerfs. J’avais besoin de cet homme, non pas juste parce que je croyais l’aimer, mais parce que sans lui, je craignais l’avenir. Même s’il était arrogant, condescendant et souvent déplaisant à mon égard, je voulais qu’il vive et, surtout, me protège. Je voulais aussi qu’il soit là le jour où je deviendrais une Fille de Lune digne de ce nom ! Parce qu’à part mon frère, je n’avais personne vers qui me tourner avec la confiance aveugle que j’avais en lui…

Je fis des dizaines de fois le tour de la masse, dans un état à mi-chemin entre l’émerveillement et l’horreur pure et simple. Je l’examinai sous toutes ses faces, sans trouver la moindre faille, le plus petit indice pour la briser. Je la frappai même du poing, la colère refaisant surface comme une bête qui avait seulement somnolé. J’avais réessayé d’entrer en contact avec Alix, mais c’était peine perdue. Je n’avais pas reçu la moindre réponse. Ses yeux clos ne me permettaient pas de croiser son regard étoilé. En désespoir de cause, alors que le soleil commençait à descendre lentement sur l’horizon, je choisis de raconter à cette masse informe l’histoire de ma vie. Mon Cyldias ne pourrait pas m’interrompre, me questionner, me faire sentir idiote, ni me reprocher quoi que ce soit, il ne pouvait que m’écouter. Et j’étais certaine qu’il le ferait avec attention. Je parlai donc ainsi jusqu’au lever du jour, incapable de m’arrêter pour dormir, convaincue que je devais aller au bout de ce récit, de ce que j’avais été, de ce que j’étais aujourd’hui et de ce que je souhaitais être. Je n’omis que mon espoir de voir mon amour pour lui payé de retour… Tout le reste y passa, y compris l’existence de Francis et d’Alicia de même que mon ras-le-bol devant son entêtement. Épuisée et transie, je sombrai dans la torpeur à l’aube, confiant mon corps à mes Âmes régénératrices et mon âme à l’Être d’Exception figé à mes côtés…

* *

*

Alix n’avait rien perdu du récit de la Fille de Lune appuyée sur le bloc inanimé qu’il était devenu. Tout au long de la nuit, il avait écouté, malgré lui, la vie de cette femme qu’il aurait voulu détester pour que tout soit plus simple. Lorsqu’on connaît peu quelqu’un, on peut entretenir des chimères à l’infini, nourrissant ainsi notre désir de rester indifférent ou de haïr, sentiments beaucoup plus faciles à porter pour les êtres pensants que celui d’aimer, avec tout ce qu’il implique de responsabilité… surtout dans son cas… Découvrir le passé de Naïla ne fit donc qu’ajouter à son tourment intérieur. Il ne doutait plus de l’aimer ; il se l’était enfin avoué en traversant vers Brume. Jamais il n’aurait pris pareil risque sinon, même pour la Terre des Anciens, il le savait maintenant. Le problème se situait à un tout autre niveau ; il n’arrivait toujours pas à imaginer le quotidien de cette relation en devenir. Il avait toujours été très indépendant, surtout dans ses relations charnelles, et il avait pris soin de ne jamais s’enticher d’une femme de puissance, évitant les ennuis. Quelle ironie sachant que Naïla serait bientôt la Fille de Lune la plus puissante ayant vécu…

Alors que la jeune femme avait sombré dans un sommeil agité depuis peu, la voix de femme de ses songes se fit entendre, tirant Alix de sa réflexion.

— Je suis dans l’impossibilité de te venir en aide puisque ta libération ne peut ni se faire à distance ni par moi. Tu dois savoir que ce sortilège, même si c’est un résultat inattendu, entraîne une dette élevée envers la personne qui l’annihilera. Ce qui veut donc dire que tu seras redevable à Naïla…

Alix jura en son for intérieur plus qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Déjà que l’amour et son rôle de Cyldias conjugués risquaient de lui apporter une multitude d’ennuis, il n’avait pas besoin d’une dette en plus. Connaissant Naïla, il soupçonnait qu’elle se ferait un plaisir de lui rappeler qu’il lui devait la vie…

* *

*

Je rêvais une fois de plus de la femme-dragon. Elle me parlait doucement, regardant avec bienveillance au-dessus d’un chaudron que je présumai contenir une potion de grande importance. L’énorme bête était toujours couchée à ses pieds.

— Tu dois délivrer Alix le plus rapidement possible. Tu as peu de temps, car ton accouchement est proche et la route encore longue jusqu’à la sécurité. Il n’y a qu’une seule façon de réussir : le don de sang. Je ne doute pas que tu comprennes ce que ça veut dire. En attendant, je veille sur toi…

* *

*

Solianne se détourna de son chaudron pour rompre le contact, les larmes aux yeux. Elle avait donné ses instructions rapidement, un malaise persistant au creux de l’estomac.

Elle n’aimait pas cette manière archaïque de contrer la magie. Même si elle savait que Naïla et Alix étaient liés à jamais depuis la naissance de la jeune femme, elle se méfiait de ce nouvel enchaînement…

* *

*

Andréa rêvait toujours, luttant avec hargne contre l’impuissance à laquelle elle faisait face. Sa fille était sur le point de lier irrévocablement sa vie à celle de son Cyldias et elle ne pouvait rien faire pour l’en empêcher. Ayant autrefois sauvé Kaïn de la même façon que Naïla allait libérer Alix, Andréa savait que plus rien ne parviendrait ensuite à briser le lien qui unirait les deux jeunes gens. Elle ne pouvait donc qu’espérer que l’avenir serait plus clément envers ce couple qu’il ne l’avait été pour elle et Kaïn. Dieu qu’elle haïssait parfois la magie et tout ce qu’elle englobait…

Excessivement rare, le don de sang échappait depuis toujours à toute logique, qu’elle soit magique ou psychologique. Bien que plusieurs aient tenté de comprendre comment fonctionnait cette méthode primitive pour rompre certains sortilèges, aucun n’avait réussi. Une évidence était cependant ressortie : ce contre-sortilège échappait à tout contrôle, le corps devenant soudain pourvu d’une volonté propre, se soustrayant ainsi à la raison de l’esprit et commettant des actes quasi insensés, parfois même mortels…

* *

*

Je me réveillai en sursaut, alors que le soleil était encore haut dans le ciel de mars. La masse informe contenant mon Cyldias n’avait pas bougé, me narguant pour mon incompétence. Je jurai en silence. Don de sang. Trois mots qui se répercutaient toujours en écho dans mon crâne douloureux. Est-ce que le sacrifice d’une partie de ce qui coulait dans mes veines pourrait libérer Alix ? Il n’y avait qu’une façon d’en avoir le cœur net…

Dans mes maigres bagages, je récupérai la dague d’Alana. Dès que j’eus l’arme en main, mes gestes devinrent mécaniques, comme si quelqu’un d’autre avait pris possession de moi. Je dénudai le haut de mon corps, malgré le temps plutôt frais, confiant involontairement la responsabilité de l’apport de chaleur à mes Âmes régénératrices. Puis, d’un mouvement rapide, je traçai une diagonale sur mon torse, partant de l’épaule droite, passant entre mes seins et se terminant sous mon sein gauche. Alors que mon âme criait sa détresse devant cette solution radicale, ma main resserrait son emprise sur la dague qui s’enfonça dans ma chair beaucoup plus facilement qu’elle n’aurait dû. Le résultat ne se fit pas attendre. Je vis la blessure se teinter de rouge et la douleur devint rapidement cuisante, comme un fil de fer chauffé à blanc que l’on aurait délibérément glissé sur ma peau pour me faire hurler. Je serrai les dents et les larmes me vinrent aux yeux. Machinalement, je m’étendis sur la pierre translucide, sentant la tête me tourner, ne pouvant plus tenir debout. Je perçus le travail de mes Âmes tentant vainement de cicatriser la plaie. J’avais l’impression de sombrer, mon corps échappant toujours à mon contrôle. Ma dernière pensée consciente fut que c’était une réaction très exagérée pour une simple entaille sur le torse…

* *

*

Andréa hurla longtemps dans son sommeil, la cicatrice sur sa poitrine brûlant comme si elle venait tout juste d’être rouverte. Les Insoumises qui veillaient sur elles furent incapables de la réveiller et durent assister, impuissantes, à de longues minutes de détresse. Les larmes roulaient sur les joues de la Fille de Lune et sa douleur faisait peine, à voir, mais personne n’y pouvait rien. Naïla avait sauvé son Cyldias, mais en utilisant la dague créée par Alana pour tuer les Filles de Lune maudites, elle avait commis une erreur. Elle risquait maintenant d’en mourir…

 

Le talisman de Maxandre
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